Jean-Claude Killy: "Je continue à regarder vers l’avenir et à rêver" (2024)

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Jean-Claude Killy: "Je continue à regarder vers l’avenir et à rêver" (1)

De notre envoyée spéciale à Genève, Florence Saugues

En 1968, ses trois médailles d’or aux JO l’ont fait entrer dans la légende. Depuis, il n’a pas changé. Dans les affaires comme au CIO, Jean-Claude Killy est resté un champion. Il nous présente pour la première fois, Sophie, sa compagne depuis 30 ans.

S’il était un acteur, il serait un acteur qui soigne ses sorties. Il a attendu d’aligner trois médailles d’or olympiques pour lâcher la compétition à 24 ans. A 60, il a arrêté l’hélico. A 71, il quitte son siège au CIO. A 72, sa place au conseil d’administration de Rolex… S’il y a une chose à laquelle Jean-Claude Killy n’a jamais renoncé, c’est à être lui-même. A commencer par sa belle gueule et sa carrure d’athlète. « Je fais le même poids et la même taille qu’en 1968 », lâche-t-il avec un brin de fierté. Trente minutes de natation ou quarante-cinq minutes de marche rapide tous les jours. Plus une séance de musculation. « Et le job est fait pour ne pas faire trop papy. » Mais, là où il a le moins changé, c’est dans cette envie d’être le meilleur qui continue de l’animer et le pousse irrésistiblement vers ceux qui gagnent. La preuve, cette photo qu’il nous montre de lui en hockeyeur, épaule contre épaule, au côté de Vladimir Poutine .

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« Je me mets toujours dans son équipe, comme ça je suis sûr de gagner », avoue-t-il avec un sourire entendu. Les matchs se jouent à huis clos et, par délicatesse, les adversaires du président laissent fuser ses tirs au fond des filets. Le roi Killy est l’ami du tsar. Et probablement l’un de ceux qui le connaissent le mieux : émissaire du Comité olympique, il a commencé à travailler en direct avec lui, en 2007, pour la préparation des JO de Sotchi. « Après la cérémonie de clôture, je lui ai fait mes adieux : “Que Dieu te garde.” Il m’a répondu : “Tu ne crois tout de même pas que tu en as fini avec moi…” » Jean-Claude Killy a compté : en tout, il a effectué 61 voyages en Russie. « Poutine est brillant, drôle, fou de sport, aimant chanter et jouer du piano. J’ai la conviction que c’est un homme bien et vous ne me ferez pas dire autre chose. » Il est comme ça, Killy, fidèle et sans concession. Peu importe si cela écorne son image. Il s’en moque. D’autant qu’il adore prendre l’opinion dominante à rebrousse-poil.

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Une question d’éducation. Ça commence quand il a 5 ans. Depuis deux ans, il vit à Val-d’Isère et n’a pas les mêmes idoles que les autres gosses. A 200 mètres de chez lui vit son « Tarzan », Henri Oreiller, le premier skieur français à avoir décroché l’or aux Jeux olympiques d’hiver. C’était en 1948, à Saint-Moritz, en descente. Killy skie déjà du matin au soir mais il est encore trop petit pour attraper le tire-fesses. Alors c’est un ami qui le remonte sur ses épaules. « Oreiller était un ancien contrebandier, raconte-t-il avec gourmandise. Champion de ski puis de course automobile, il se baladait à Val-d’Isère dans des bagnoles fantastiques. Il avait appris à jouer de l’accordéon tout seul. Un anticonformiste qui m’a montré le chemin. » Killy est timide, il n’osera jamais lui adresser la parole. Et Oreiller s’est tué sur le circuit de Montlhéry, en 1962, sans jamais savoir que son petit voisin était un champion de sa trempe.

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Poutine est brillant, drôle, fou de sport, aimant chanter et jouer du piano.

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Jean-Claude Killy nous reçoit sur les rives du lac de Genève, dans la maison qu’il habite depuis cinquante ans. Sur son bureau, rangé au cordeau, on aperçoit un Spitfire miniature. L’avion de combat britannique est posé là, comme pour mieux évoquer la mémoire de son père, Robert, un héros ordinaire. Ses faits d’armes, « il a eu l’élégance suprême de ne jamais en parler de son vivant », nous révèle son fils. Il faudra sa mort pour qu’il découvre son carnet de résistant et comprenne alors que sa famille est originaire de Suisse. « Le père », comme il l’appelle avec affection, voulait être pilote de chasse pour combattre le fascisme. C’est pourquoi il a demandé un passeport français, obtenu le 22 décembre 1937, une date restée historique. « Il a traversé la frontière, mais dans le sens inverse de celui emprunté par la plupart des gens », raconte-t-il. Sans quoi, le plus grand skieur du XXe siècle, né six ans plus tard, en pleine guerre, n’aurait pas été français.

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Si le père était un taiseux, le fils n’est pas tellement plus bavard. Par exemple, ses trois médailles d’or des JO de Grenoble, en 1968, en descente, en slalom et en géant, ne sont pas forcément son meilleur souvenir, admet-il. Celui qui lui a laissé un parfum de sacre, c’est sa première victoire, à 22 ans, en 1967, dans le slalom à Kitzbühel en Autriche, le temple du ski. « Battre les Autrichiens chez eux, pour un skieur, c’est presque une consécration. » D’ailleurs, dans sa maison à la décoration épurée, sans fioritures, presque austère, rien ne rappelle ses exploits. Ni photos ni trophées. Il a offert ses médailles au musée du CIO. Seul un cliché en noir et blanc, glissé incidemment dans le nécessaire de bureau, évoque l’épisode grenoblois. On l’aperçoit, en action, sous le dossard 14, lors de l’épreuve de descente. Il en profite pour nous donner son secret, presque une devise : « Toujours essayer de faire un petit peu mieux. Car un tout petit mieux vous permet parfois d’être le meilleur. » Ce « petit peu mieux » lui avait alors permis de dépasser de quelques centièmes de seconde son ami Périllat, le favori. « Avec mes complexes et ma timidité, cette technique ne m’a pas trop mal réussi tout au long de ma vie », s’amuse-t-il encore. Killy se dit complexé et timide. Difficile à croire tant il incarne la reconversion parfaite du sportif idéal.

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Il a quitté l’école à 15 ans. Et alors ? Son instinct exacerbé d’autodidacte lui a toujours montré quelle voie emprunter. Il a l’intelligence de savoir être là où il faut, et avec les gens qu’il faut. Il cultive l’art de saisir la chance, ce qu’il traduit modestement par une autre maxime : « L’occasion fait le larron. » A 24 ans, dont vingt consacrés au ski, il a gagné tout l’or dont il rêvait. Il va désormais pouvoir songer à l’argent. Pourquoi l’argent ? La réponse fuse sans tabou ni hypocrisie. « Pour être libre ! » Killy va faire fortune comme il descend les pistes. A toute allure. En quatre ans, il devient millionnaire. « Je suis passé d’un salaire de douanier de 760 francs avec la prime de chaussures de 20 francs par mois, à des revenus à sept chiffres. » C’est l’Amérique et non la France qui se montre généreuse. D’abord, un homme d’affaires lui fait miroiter quelque 2 000 dollars par mois, à vie. « C’était déjà énorme. Ça n’existait pas en France. »

A cette époque, à New York, Killy est plus célèbre que Delon ou Belmondo

Mais la providence viendra d’un autre homme, rencontré à Genève, chez Hank Ketcham, le dessinateur de la BD “Denis la malice”. Mark McCormack est un jeune avocat en train d’inventer le sport business. « Un génie ! Il m’a tout appris. » Il lui promet que, s’il accepte de le suivre, il pourrait bien finir dans les conseils d’administration des plus grandes entreprises ! McCormack a déjà dans son écurie des cadors du golf comme Arnold Palmer ou Jack Nicklaus. Il a reconnu dans le jeune et beau skieur le genre d’ambassadeur que l’Amérique aime aduler. « J’ai eu 96 contrats avec 96 boîtes différentes, mais je n’ai jamais vendu mon âme », assure Killy. Il donne des conférences, tourne des publicités, conduit des voitures de course, participe aux 24Heures du Mans. Avec son accent à la Maurice Chevalier, il vante les modèles Chevrolet dans les Salons automobiles, à travers tout le pays. Une autre star l’accompagne, elle aussi sous contrat avec le constructeur : O.J. Simpson.

« Le meilleur running back du football américain », affirme encore Killy, qui le qualifie de « brillantissime » sans commenter les drames qui vont suivre. Loyal comme toujours. Killy et Simpson se succèdent sur les estrades et la foule les acclame. A cette époque, à New York, Killy est plus célèbre que Delon ou Belmondo. Quand il se promène sur la Cinquième Avenue, il lui faut des gardes du corps comme pour un Beatles. On le compare à James Dean. Il skie avec Steve McQueen ou Clint Eastwood. Fred Astaire lui apprend les claquettes, Sinatra l’invite dans son jet, Robert Redford se déclare fan absolu. De là à perdre la tête… ce serait mal le connaître. On le voit dans des soirées hollywoodiennes en compagnie de Jean Seberg ou d’Audrey Hepburn, mais son cœur appartient à Danièle Gaubert, une jeune actrice qu’on compare à Bardot ou à Deneuve. Ses contrats marketing lui imposent de rester célibataire. Il est raisonnable, Killy. Il attendra la fin des mandats, et Danièle aussi. Et quand ils se marieront, elle renoncera à la lumière. Plus de carrière, pas de photos non plus, ni d’eux ni de leurs enfants…

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En cela non plus Jean-Claude Killy n’a pas changé : il aime les femmes belles et discrètes. Après la disparition de Danièle, en 1987, est arrivée Sophie. Aujourd’hui, pour la première fois, le couple lève délicatement le voile, pour Paris Match. Exceptionnellement, Sophie se laisse photographier avec l’homme de sa vie. « Je crois qu’il n’existe aucune photo de nous deux », avoue-t-elle. Avec humour, elle nous confie qu’elle ne s’autorise même pas à l’appeler « Toutoune », le sobriquet réservé aux « frères » d’armes, les champions Léo Lacroix et Guy Périllat, respectivement 80 et 77 ans. Ceux avec qui Jean-Claude a partagé entraînements, compétitions et parties de poker. Une manière de se détendre et de relativiser. Un coup on perd. Un coup on gagne. Rien de mieux pour surmonter les défaites et… les victoires. Leur amitié n’a pas pris une ride. « J’ai vécu ce qui m’est arrivé comme un privilège, reconnaît Killy. Mais cela ne m’a pas changé. J’ai gardé les mêmes copains qu’avant. »

Droit dans ses bottes, les scandales de corruption dans le mouvement olympique n’entachent pas son nom

Le skieur sublime s’est transformé en icône glam, puis en redoutable businessman. « Je suis adaptable. » Outre ses contrats avec de grandes enseignes comme Rolex ou Coca-Cola, il crée sa propre marque et organise des événements sportifs. A la tête d’Amaury Sport Organisation, il relance le Tour de France, achète le Paris-Dakar et le marathon de Paris. Puis, avec Michel Barnier, il décroche les Jeux d’Albertville et redevient, à l’aube de la cinquantaine, un héros national. Bénévole, il va sans dire… Et toujours au nom de la même cause… « Ma liberté. » Droit dans ses bottes, les scandales de corruption dans le mouvement olympique n’entachent pas son nom. Fort de son succès à Albertville, membre du CIO, il est le grand coordonnateur des Jeux d’hiver, à Turin puis à Sotchi. Pour lui, les « plus beaux JO organisés », ceux après lesquels il va pouvoir tirer sa révérence. « La boucle était bouclée. Difficile de trouver un autre projet plus excitant. J’étais élu au CIO jusqu’en 2023, jusqu’à mes 80 ans. J’aurais pu pantoufler mais, moi, je ne pantoufle pas ! »

Killy ne triche pas. Il n’a pas de limites, sauf celles qu’il se fixe. Et s’il est resté fidèle à Rolex depuis 1969, ce n’est pas uniquement pour le prestige. On dit qu’il possède l’une des plus belles collections de montres. « Je suis fasciné par les mécanismes mais cette passion m’est un peu passée. Je n’ai gardé que 25 exemplaires mais parmi les plus prestigieuses. » Et pas chez lui, bien sûr. A 74 ans, Killy ne court plus le monde. Il lit. « 22 500 pages en 2017. » Tout est consigné dans un carnet. Il y a ainsi sept ans qu’il s’attelle à la littérature russe du XIXe siècle. De son goût pour la montagne, il a gardé le désir de dominer son sujet. Il a lu tout Zola, tout Balzac. Quand il aime, c’est absolument. Il a aussi le béguin pour les peintures qui représentent les stations de ski, de la Tarentaise ou de la Maurienne. Actuellement, il produit un documentaire qui retrace sa carrière et prépare un livre de photos à tirage limité pour les 50 ans des JO de Grenoble. A part cela, dit-il, « je m’occupe de mes affaires. Je bricole ». Il retourne à ses mystères, mais se veut rassurant : « Je continue à regarder vers l’avenir et à rêver. » Rêver mais de quoi… Lui qui a tout réussi… Alors là, le taiseux pourrait devenir bavard. Dans une vie idéale, monsieur Killy aurait aimé faire des études d’avocat. Gagner le Paris-Roubaix. Mais aussi être danseur de claquettes. Et avoir une ceinture noire en karaté.

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